27.02.2017

conférence : Médiations apocalyptiques

Lucile Haute participera les 8, 9 et 10 mars 2017 au colloque Médiation apocalyptiques à l’Université de Brest. Elle donnera une lecture performée, Emprunts de Sorcière, et une conférence :  »Sorcière, survivance d’une figure dans la création contemporaine ».

« Certaines femmes criminelles, suppôts de Satan et séduites par ses mirages et ses visions démoniaques, croient et professent qu’elles chevauchent certains animaux et traversent l’espace en compagnie de Diane, déesse païenne ou de Hérodiade, et d’un nombre incroyable de femmes, obéissant aux ordres de la déesse comme à ceux d’une maîtresse absolue. »
(canon Episcopi, 4ème siècle après JC).

Cette communication s’attachera à aborder les survivances et réinterprétations contemporaines de la figure de la sorcière, historiquement construite en tant qu’être participant à l’avènement du règne du Démon sur la Terre — soit : à provoquer l’apocalypse. Lente et s’étalant sur plusieurs siècles, la construction de ce stéréotype repose sur des allers-retours interprétatifs entre ce qui est rapporté (par ceux qui observent), consigné (par ceux qui écrivent) et divulgué (par ceux qui parlent ou prêchent). Centrale est la question du regard et de la reconnaissance d’une figure (imaginaire) dans les gestes les habitudes d’un être, qu’ils soient observés directement, confessés ou rapportés (voir Camille Ducellier, 2011, « Je dors avec un bébé bouc mais je ne vois pas de quoi vous parlez. »). La littérature d’Inquisition s’attache à recenser et détailler avec précision les actions infâmes reprochées aux sorcières et, ce faisant, participe de la construction d’un stéréotype qui s’est répandu de procès en procès à travers les siècles.

Le célèbre Marteau des sorcières d’Instituais et Sprenger (1486) indique que les démons, associés à la perversité des femmes, avaient pour but de détruire la religion chrétienne. Car outre les abominations factuelles, c’est une action d’une gravité bien supérieure qui est reprochée aux sorcières : celle de faire commerce avec le diable, de « […] permettre que Satan amplifie plus avant son règne, comme il fait par la damnable intention de ses suppôts. » (Discours des sorciers, Lyon, 1602). Pire encore : de le faire en connaissance de cause, en plein usage de leur libre arbitre, « parce que Satan en les abordant leur déclare ouvertement qu’il est le diable et leur fait renoncer Dieu, chrême et baptême. Et c’est l’occasion pour laquelle ces gens là se rendent indignes de pardon : car y a-t-il un homme, tant idiot soit-il qui ne sache que le diable est notre capital ennemi et qu’il ne cherche que la ruine du genre humain ? » (ibid).

Premier défenseur des sorcières, Michelet analyse à travers les siècles la construction de cette figure construite en creux, stigmatisante et destinée à circonscrire un contre-pouvoir. Bien plus tard, elle a été réappropriée revendiquée par des mouvements féministes (revue Sorcière, Caliban et la sorcière, Sages-femmes et sorcières, Sorcières mes sœurs…). Elle a également été utilisée dans les productions culturelle populaires récentes, au cinéma en particulier, comme motif d’effroi (Haxan) par son invisibilité (Blair Witch Project), érotisée (‘documentaires’ britanniques des années 1970), pacifiée (Les sorcières d’Eastwick). Que reste-t-il aujourd’hui du potentiel subversif de cette figure ? N’est-elle, prise dans les outils de production de masse d’images, qu’un motif insipide décliné à l’envie (#witchesofinstagram) ? Des artistes continues d’invoquer Sorcière (voir les deux catalogues d’exposition Sorcières, B42, 2014 et 2015). Qu’est-ce qui est invoqué à travers elle ? De quoi ou de qui l’artiste se fait-il le médium lorsqu’il donne corps à Sorcière ?
Après un retour historique sur quelques éléments constitutifs de cette figure, nous nous attacherons à étudier des surgissements de Sorcière dans les œuvres d’un corpus contemporain.